Les vrais amateurs de traditions sont ceux qui ne le prennent pas aux sérieux et se marrent en marchant au casse-pipe, parce qu’ils savent qu’ils vont mourir pour quelque chose d’impalpable jailli de leurs fantasmes, à mi-chemin entre l’humour et le radotage. Peut-être est-ce un peu plus subtil : le fantasme cache une pudeur d’homme bien né qui ne veut pas se donner le ridicule de se battre pour une idée, alors il l’habille de sonneries déchirantes, de mots creux, de dorures inutiles, et se permet la joie suprême d’un sacrifice pour carnaval
Jean Raspail, Le Camp des Saints
Ce n’est pas un retour, mais il y avait cet article que je voulais faire paraître et que l’article du Stalker me pousse à publier, après l’avoir écrit. Je suis globalement d’accord sur l’essentiel c’est à dire que oui littérature et politique ne fait jamais bon ménage, comme Alain je suis convaincu que la littérature, en tout cas dans sa forme romanesque n’appartient pas à la catégorie de l’utile, d’un roman j’essaie de ne pas me demander à quoi ça sert, mais de quel automatisme de pensée il me délivre. Le fantasme de la démocratie totale, de la république des livres où politique et art se mélangerait dans un fatras présumé et présenté comme porteur de sens m’agace pour ne pas dire mieux.
Oui, il existe bien un malentendu sur le roman de Raspail, mais je ne crois pas que cela soit sur la qualité du roman, ou sur ce que celui-ci peut »apporter » en terme de prise de conscience, car là encore l’on est dans l’erreur. Plutôt que d’initier une prise de conscience chez le blanc moyen, Le Camp des Saints est plutôt l’aboutissement de celle de Raspail. Un exutoire définitif et sans retour. Pour enfin passer à autre chose. Ce qu’il fit.
Le roman n’est pas pré-apocalyptique comme le pense Stalker, ni post-apocalyptique, mais intemporel, Raspail le sous-entend lui même dans sa préface (l’intéressante, pas celle de la réédition), il est inutile de changer une virgule si ce n’est peut être le nom du Pape, pour que celui-ci soit d’actualité. Ce n’est pas le Camp des Saints qui serait un roman éternel à l’image des Frères Karamazov, ce sont simplement les superstitions de la modernité qui durent et s’aggravent, maintenant l’intérêt du roman.
Certes les descriptions de la flotte de la misère, et sa puanteur sur laquelle Jean Raspail s’attarde notamment le »sculpteur de merde », le roman parfois peut s’apparenter à une fable et derrière l’histoire c’est bien le tissu de mythe dans lequel une époque se plonge. Ce n’est pas de la haine, ni de la peur, ni de la crainte qu’inspire la flotte du Gange, ou les tuniso-libyens arrivant sur les côtes italiennes, mais un dégoût instinctif, un dégoût parce qu’il y a nous et il y a eux. Un dégoût qui ne peut être totalement étouffé malgré des décennies de propagande, de lavage de cerveau. Si Raspail insiste, certes lourdement parfois sur l’odeur, c’est bien parce qu’ils puent. Constat brutal, basique et guère fin je veux bien en convenir, mais réel. L’idéologie a beau être forte, elle ne peut supprimer cette révulsion des sens. Révulsion de l’odorat, de la vue, du toucher. Ceux qui se plongent dans la masse s’y noie et s’oublient. Ceux qui veulent s’en éloigner n’ont d’autre de choix que de fuir. Mais le White flight a ses limites, alors il faut tirer. La question n’est pas qui va dominer, mais qui va vivre. La cohabitation n’est rien de plus qu’une transition, la France ne peut être à la fois blanche et musulmane, il faudra bien qu’un peuple cède sa place à l’autre, si l’un ne se retire pas alors ce sera l’autre.
Et plus la décadence s’accroît, et plus on cherche à la conjurer, en amplifiant cette décadence même, en appelant à la restauration des principes républicains, de la restructuration du lien social. Et le processus s’auto-entretient.
Certes Asensio a également raison sur la nature du roman à thèse, il est vrai que les personnages de Raspail ressemblent plus à des figures qu’à des êtres de chair et de sang. Mais la simplification à outrance, la réduction progressive de la vie à la politique, et de la politique à la propagande n’est-ce pas la tendance lourde de l’époque ? Observable déjà en 1973, mais accentuée encore en 2011. La guerre entre la France et la République, la contradiction entre des principes faux et une réalité qui rend justice. L’exode des français vers le Nord contredise des principes qui ont été foireux dès le départ. L’Italie et l’Union Européenne se comportent de la même manière envers les réfugiés arabes que les pays occidentaux envers la flotte du Gange, pourtant les deux cas d’espèce ne sont guère à priori interchangeables. Mais apparaissent les mêmes discours, les mêmes peurs cachés, les mêmes délires inavouables.
Ce qui m’intéresse plus c’est la troisième partie du roman, la fuite vers le Village, et l’aspect de contre-épopée, de comédie noire (un aspect reconnu par Raspail lui même durant son débat avec Max Gallo de 1973) que le roman prend. Au fond tout cela est une farce atroce, l’Occident a voulu mourir, rions-en car nous n’aurons plus à le sauver de lui même. Vivons encore mais au moins choisissons notre mort pourvu que nous restions debout. Nous ne sommes plus dans une tragédie grecque, mais dans le burlesque, la comédie, la libération par le rire, la plus efficace peut-être.
Pour qui Raspail écrivit ce roman? Pour avertir les Français? Non! Pour lui même n’en déplaise à Asensio, il a repris le mot de Saint-Loup (désolé Anthony once again) « ce qui compte ce n’est pas de sauver la France mais de nous sauver de la France ». Le Camp des Saints reste la catharsis de Raspail, un an plus tard il écrivit. On peut évidemment discuter de la qualité de celle-ci. Mais je note qu’après avoir lu le Camp des Saints, loin de me sentir l’âme d’un e-croisé, j’ai perdu toute envie d’écrire un billet lié à l’Islam/l’immigration/etc. Tout a été dit et je n’ai rien à ajouter. Je suis passé à autre chose. Les vingts du village sont morts écrivit Raspail dans la hache des Steppes (paru l’année suivante) et il n’aborda plus le sujet (à part un article en 2004 qui ne rajoute rien de nouveau). Et il écrivit de meilleurs romans. Sept cavaliers ou Qui se souvient des hommes? valent vraiment le détour. Peut-être parce qu’après avoir coupé ses liens avec la France, Jean Raspail put enfin partir à la recherche de ses rêves… ou des derniers Alakalufs.