En 2257, le croiseur C57D de la flotte des planètes-unies arrive, après une année de voyage, en vue de la planète Altaïr IV. La mission de l’équipage du commandant Adams est de trouver les survivants d’une expédition scientifique arrivée sur la planète vingt ans auparavant. De l’équipage du Béléphoron il ne reste plus que le Dr Morbius, qui tente vainement par radio de les dissuader d’atterrir. Le commandant suit néanmoins ses ordres et, à l’arrivée du vaisseau, l’équipage est accueilli par un étonnant robot (Robby) envoyé par Morbius.
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Béléphoron dans la mythologie grecque était le héros qui dompta Pégase et tua la chimère, le célèbre monstre à tête de lion et à la chevelure de serpents. Mais inutile de recenser toutes les références qui ont inspiré le film, elles sont nombreuses et ne font pas forcément sens, faisant partie du jeu des concepteurs pour »perdre » le spectateur. Retenons qu’à l’image des Chroniques Martiennes de Ray Bradbury, les scénaristes choisirent de donner au film les caractéristiques d’une fable plutôt philosophique en puisant à la source des grands classiques. A commencer par The Tempest de Shakespeare, pièce racontant l’histoire de Prospero, Duc de Milan, exilé avec sa fille sur une île où règne la magie. Magie permettant au Duc de contrôler des esprits maléfiques ou bénéfiques. Allié d’un meilleur génie, Ariel, qui déclenche une tempête dans laquelle est pris un navire, Prospero doit finalement s’accommoder de l’amour de l’un des naufragés, Ferdinand, pour sa fille. Ici, Prospero devient Morbius, et l’île magique se transforme en une planète lointaine et semi-désertique, encore imprégnée des découvertes scientifiques d’une civilisation disparue, les Krells…
Si il s’inspire de Shakespeare, le scénario du film emprunte tout autant à la psychanalyse freudienne. Le docteur Morbius, en enrichissant ses connaissances à travers les vestiges d’une civilisation brillante, cherche à s’affranchir de la bête qui est tapie dans l’homme, à faire prendre définitivement le dessus à l’esprit sur le corps conformément au vieux rêve de Platon, à abolir le subconscient. Sur cette planète vierge de toute société, il a bâti un monde idéal pour sa fille Alta. Celle ci, dans une image de paradis originel, parle une langue que comprennent les animaux. Elle perdra cette faculté en même temps qu’une partie de son innocence, et Morbius le démiurge, pour avoir nié l’âme, paiera de sa vie le prix de son blasphème.
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Forbidden Planet fut le premier film de science-fiction tourné en couleurs et le premier film à proposer une musique synthétique. Douze ans avant 2001 de Kubrick, le film contribuera largement à donner ses lettres de noblesse au genre et marquera à jamais son évolution (Star Trek par exemple qui débutera 10 ans plus tard n’aurait sans doute jamais existé sans Planète interdite). Le film a assez bien vieilli, malgré les caractéristiques courantes à l’époque de l’âge d’or de la Science-Fiction : un vaisseau en forme de soucoupe volante, un équipage à l’uniforme de matelots, un robot à l’image de l’adjudant efficace comme Asimov en rêvait, bref les ingrédients classiques du rétro-futurisme… Mais on tient là une réussite artistique. Les décors grandioses, bien qu’intégralement tournés en studio font aujourd’hui encore grandement le charme désuet du film. La musique synthétique qui donne une ambiance particulière reste toujours aussi inquiétante et singulière. Un grand soin fut apporté aux effets spéciaux (la création du monstre de l’Id fut confiée aux animateurs du studio Disney) et si à la vue des derniers progrès de l’animation par ordinateur le sourire est de mise, le charme opère. Si beaucoup de temps et d’argent ont été consacrés aux effets spéciaux et à tout ce qui fait l’habillage du film, il est heureux de constater que, contrairement aux erreurs récurrentes du cinéma, ces investissements n’ont pas été faits au détriment du scénario.
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Car Forbidden Planet renouvelle l »avertissement de Paul Valéry au lendemain de la Première guerre mondiale : « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles ». Une décennie après la folie de la Seconde Guerre Mondiale, le vaisseau des « Planètes unies » peut bien évoquer la toute récente ONU. Il n’en demeure pas moins que dans le contexte de la Guerre froide, avec sa hantise de l’Apocalypse nucléaire, cette nostalgie d’un passé brillant anéanti par la folie de ses contemporains qui ont voulu s’élever au rang de dieux s’achève avec une méditation anthropologique et philosophique. Quelles que soient les intentions des hommes, il existera toujours une part d’ombre, cette pesanteur au charnier dont parlait Céline ; sans cesse à débusquer, pour reprendre les termes de la psychanalyse, jusque dans l’inconscient de chaque être. Le docteur Morbius décédé, le commandant contemple de son vaisseau, Altair IV, la « planète interdite » qui explose et clôt l’aventure d’une phrase lapidaire : « It’s true, it will remind us that we are, after all, not God. ». Il reste intéressant de constater qu’une fois débarrassé de ses gadgets, soucoupe volante, Robby le robot et pistolets lasers désintégrateurs, le film de Fred McLeod Wilcox sert un scénario qui penche vers un certain pessimisme.
Je ne connais pas Forbidden Planet mais vous me donnez envie de le voir. En tout cas, il rompt avec les années de vaches maigres pour la science-fiction (pas de budget, effets spéciaux dérisoires voire inexistants, type Ed Wood). Parallèlement, les anglais de la Hammer revenaient sur Frankenstein (la créature échappant à son créateur) et Dracula (un être qui n’a pas d’âme et de corps), sans compter l’invasion des profanateurs de sépulture (qu’est-ce qu’un clone ?). Les films de Terence Fisher sont de ce point de vue incontournable, il faut être aussi péremptoire que le gauchiste suisse Godard pour affirmer que l’Angleterre n’a jamais eu de cinéma. Les français avaient Georges Franju (les yeux sans visage). Les américains exploraient l’avenir de l’Empire, les anglais, les doubles de l’homme, les français l’inquiétante étrangeté, belle période, non ?
On peut voir Ed Wood… mais le film de Burton^^
De Fischer, j’ai vu les « Deux visages du Dr Jekyll » que j’ai adoré. Je ne connais pas assez pour en parler. En plus je crois que Stalker a écrit des notes intéressantes sur le réalisateur non?
Sinon ce serait intéressant d’essayer de comprendre comment l’Angleterre a pu conserver une production indépendante, tant cinématographique et télévisuelle, de qualité, sans avoir suivi la pente descendante qu’a connu la France.
Quand on sait que l’OVNI qu’est The Artist a eu de grosses difficultés pour trouver du financement, c’est à pleurer. Mais d’une certaine manière ce fut la rançon de son succès. Et de celui de Dujardin.
Sinon oui, belle période, mais la Planète Interdite représente le sommet du genre, voire un tournant comme je l’explique dans le billet, plutôt que sa moyenne. Mais si vous le regardez, vous serez immanquablement surpris et dans le bon sens du terme.
Je crois que tous les pays européens ont conservé une production de qualité jusque dans les années 1970, après, c’est une sorte de désert. A mon avis, la rupture d’époque, pour le vieux continent, est là